C'est à demi conscient que j'ai été allongé sur des feuilles -confortables je l'avoue- et que j'ai senti des pattes et un museau me frôler de partout. Certainement pour me soigner, je m'en doute. Ce n'est sûrement pas le genre du Général des Sables de tripoter un de ses guerriers à moitié mort. C'est à demi conscient que j'ai été traîné jusqu'à une tanière, alors qu'une louve venait probablement de me sauver la vie. La remercier ? Plus tard. Peut-être. On verra, j'aurais p'têt' pas l'temps pour ça. Et c'est également à demi conscient que j'ai entendu le Général se faire soigner à son tour, discutant avec la louve comme s'ils étaient de vieux amis alors qu'il semblait encore douter de notre avenir avant qu'elle ne nous trouve. Mais puisque je suis là, autant sombrer dans un sommeil revigorant, histoire de ne pas perdre complètement mon temps. Au moins quand je ressortirais de là, je serais assez en forme pour retourner me battre, et m'entraîner au mieux de mes capacités.

Lorsque je me réveille, lorsque j'ouvre les yeux sur cette tanière sombre que je ne reconnais pas tout de suite, deux choses me frappent. La première, je me sens aussi bien que si je venais de me lever après une cure de vitamine et deux jours de sommeil. La seconde, ça pue atrocement le chien ici, et je doute que l'odeur provienne des plantes médicinales de la louve guérisseuse. Je cherche Natan des yeux, mais le Général des Sables est déjà reparti. Ce connard m'a laissé seul entre les pattes d'une louve qu'il ne connaissait même pas ! Il en entendra parler, j'en fais la promesse. En attendant, je reste prudent. Je relève lentement la tête pour chercher l'origine de l'odeur nauséabonde, et je croise bientôt un animal répugnant à l'allure morbide. Du métal partout, une gueule tellement déformée que je peine à reconnaître le clébard sous les plaques métalliques. Je reste parfaitement immobile, attendant de voir ce qu'il va faire, mais je comprends rapidement que ses intentions ne sont pas bonnes.

Voyant qu'il ne m'a pas remarqué, je profite de l'effet de surprise. Je me lève brutalement et je bondis sur lui dans un grondement sauvage, plongeant mes crocs dans sa nuque juste derrière le collier à pointes qui menace mon propre visage malgré ma position. Je serre assez fort les mâchoires pour sentir sa peau se tendre douloureusement sous mes crocs, et je tire violemment en arrière pour lui faire perdre l'équilibre et le faire tomber à la renverse. Cependant j'ai entendu des rumeurs, à défaut de n'avoir jamais rencontré ces créatures infernales avant aujourd'hui. Ne pas toucher les armures. Ne surtout pas activer les bombes. Je relâche la pression, m'écarte de l'animal et gronde. Tendu sur mes quatre pattes, je lui fais face, ainsi debout entre les réserves de plantes et le clébard monstrueux. Je montre les dents en retroussant mes babines le plus possible, et j'hérisse mon poil jusqu'à faire pratiquement la même taille que lui. C'est que ces saloperies sont sacrément balèzes !

- J'te conseilles de bien réfléchir, mon gros. Ca m'plairait pas d'me salir les pattes.

D'abord vient le temps d'observer consciencieusement la bête qui me fait face. Un monstre de muscles et de métal, mais également un tic tac désagréable qui semble le suivre partout et qui parait menacer le monde entier. Puis vient le temps des rires et des brimades, de sa manière de me provoquer il réussit bien son objectif. Je gronde plus fort, retrousse davantage les babines. Croit-il m'impressionner ? Je ne suis pas de ceux qui fuiront face à l'adversité, et son agressivité apparente ne sera que le fruit de ma propre rage. Ce qui fera naître le guerrier qui sommeille en moi. Je plisse les yeux, bien trop sérieux pour me joindre à son rire. Là derrière nous, un autre loup. Un allié, cette fois. Je n'ai pourtant pas le temps de lui lancer le moindre regard. Un échange, une menace du loup et un ricanement du chien. Puis tout se passe très vite. Je suis bouffé par l'animal de fer, les cliquetis de son armure résonnent à mes oreilles alors que mon échine se fait mastiquer par mon ennemi sous mes jappements incessants. Et lorsqu'il relâche la pression sur ma nuque, c'est pour m'envoyer renverser l'autre sauvage, dehors. Je me relève en quatrième vitesse, sous les rires incessants du clébard. Et je plonge en avant. Je percute le chien de toutes mes forces, plante mes crocs dans sa gorge, entre la mâchoire inférieure et le collier à point qui me blesse à chacun de mes mouvements. Malgré la douleur je reste accroché là, pendu à sa jugulaire, à me faire balader d'un côté et de l'autre sans jamais desserrer ma prise. Je gronde en labourant son poitrail de mes griffes acérées et je tâche de garder un oeil sur mon acolyte de fortune, dehors, qui je l'espère a déjà un plan pour nous sortir de là. Je gronde autant de rage que de frustration alors que mes postérieures peinent à rester sur le sol et que mes antérieures s'agrippent au pelage et aux plaques de métal. J'essaie de le blesser, mais c'est comme si l'armature le protégeait de toutes mes tentatives. Il n'y a que mes crocs dans sa gorge et mon corps tout près du sien.

Tout se déroule à une vitesse fulgurante. D'abord les craquements sinistres dans l'os du chien, puis les mouvements de mon acolyte derrière. Il essaie de me venir en aide, il tente d'empêcher le chien de s'écraser sur le dos. Visiblement ce dernier essaie de mourir, et de nous tuer en passant. Comprenant rapidement que mon poids pendu à sa gorge l'empêche d'arriver à ses fins, je resserre plus fortement ma prise et je m'agrippe à son armature en m'aidant de mes griffes mais je glisse et ai du mal à tenir, d'autant que ses antérieures cherchent à atteindre mon visage. Je m'efforce de rester en place malgré la douleur qui m'assaille de toutes parts et je fais de mon mieux pour garder au moins mes yeux à distance de ses griffes. Hors de question que je perde la vue, ni même que j'en perde ne serait-ce qu'une partie. Je gronde, m'agite dans tous les sens pour l'empêcher de me crever les yeux, et je me laisse choir sur mes postérieures pour les lui balancer dans le poitrail et le labourer violemment, tant que l'autre loup parvient à le maintenir debout. J'aperçois un éclair blanc, et je comprends bien vite que c'est un autre allié qui s'amène. Les deux semblent se connaître, j'entends vaguement des mots s'échanger entre les sifflements de mes oreilles. Les coups portés par le chien sont violents, me font sonner les tympans. Je gronde mais ne m'entends plus qu'en sourdine, comme si j'avais la tête sous l'eau. Quelque chose coule de mes oreilles, me chatouille l'intérieur des pavillons. Je serre les dents plus fort et je reprends appui sur mes postérieures pour tirer davantage sur la gorge qui me semble un peu plus à découvert. Je prends l'opportunité qui se présente, et sans lâcher ma prise j'essaie de secouer la tête violemment dans tous les sens, tâchant de la lui déchiqueter comme celle d'une proie.